A. Clavien u.y. (Hrsg.): Théâtre et scènes politiques

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Titel
Théâtre et scènes politiques. Histoire du spectacle en Suisse et en France aux XIXe et XXe siècles


Herausgeber
Clavien, Alain; Claude, Hauser; François, Vallotton
Erschienen
Lausanne 2014: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
291 S.
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Danielle Chaperon

L’ouvrage Théâtre et scènes politiques est le fruit d’un colloque organisé en mai 2011 par les professeurs Alain Clavien, Claude Hauser et François Vallotton. Réunissant des chercheurs suisses et français à l’Université de Fribourg et à l’Université de Lausanne, ce colloque était sobrement intitulé Théâtre et Politique: le changement de titre est en lui-même intéressant. En effet, la question du périmètre de la discussion et de l’objet partagé par les différents contributeurs s’est très vite posée. Si le Théâtre (au singulier) ne semble pas poser problème (il en serait autrement dans le champ spécifique des études théâtrales), le ou la Politique se déploie pour la publication en «scènes politiques» (au pluriel). Assorti d’une métaphore, ce passage au pluriel révèle une extension et une indétermination du champ d’investigation. Ainsi qu’en témoigne Joël Aguet dans une postface qui problématise cette question, les relations entre théâtre et politique sont multiples, le vocabulaire est souvent imprécis et le spectre de l’anachronisme parfois menaçant.

Le sous-titre, Histoire du spectacle en Suisse et en France aux XIXe et XXe siècles, permet d’approcher plus nettement la problématique de l’ouvrage. Il s’agit donc d’histoire. Et surtout d’historiographie. Ce qui apparaît en effet, par trouées ou par transparence, de manière à la fois évidente et implicite, c’est l’écart entre les historiographies française et suisse. On prend conscience, en lisant les articles dans l’ordre proposé, à quel point l’historien du théâtre français bénéficie d’une cartographie mentale, résultant d’innombrables travaux antérieurs, sur laquelle il n’a aucun problème à situer, à inscrire et surtout à projeter ses entreprises. Il lui est loisible de corriger ici quelque périodisation trop tranchée, là quelque concept trop global, là encore de combler une lacune. Ainsi, par exemple, pouvons-nous lire de très utiles synthèses critiques sur la continuité entre le Second Empire et la IIIe République (sous les plumes respectives de Jean-Claude Yon et de Pascale Goetschel), sur certains effets de «résonance» entre la politique de moralisation du théâtre sous le régime de Vichy et la politique de démocratisation de l’immédiate après-guerre (emblématisée par le Festival d’Avignon dont la singularité persistante est décrite par Emmanuelle Loyer), ou sur une «tache aveugle» de l’histoire de la décentralisation (le cas de l’Algérie française présentée par Julie Champrenault). Les études précises consacrées par Antoine de Baecque à L’Odéon ou par Claire Martini au Groupe Octobre puisent quant à elles dans un contexte historiographique qui permet des éclairages toujours enrichissants.

Le relatif «confort» scientifique dont bénéficient les études françaises est peut-être trompeur, mais il semble difficile de remettre en question l’efficacité herméneutique des couples Paris/Province ou Centre/Périphérie, de la dynamique du mouvement Centralisation/Décentralisation et des personnalités emblématiques (Jeanne Laurent, Vilar, Malraux, Lang). Aucun confort de ce genre n’est à espérer pour l’historien du théâtre en Suisse – sauf à importer les modèles conceptuels étrangers. Le risque est cependant aigu de confondre l’impact de ces modèles étrangers sur les acteurs historiques avec leur entière pertinence en matière d’interprétation scientifique. Lorsque les artistes actifs en Suisse romande adoptent le vocabulaire français (avec ses valeurs de combat, de promotion et de mobilisation), ils ne sont pas forcément en synchronie avec le rythme politique et avec l’histoire artistique et sociale de leur région. Il en est ainsi, dans le canton de Neuchâtel où les autoproclamés «Centres culturels» n’ont rencontré que fort peu d’écho auprès de leurs édiles (comme en témoigne la contribution de Marie-Jeanne Cernuschi et Yvonne Tissot). Tout se passe comme si l’artiste suisse – quel que soit son public – avait deux adversaires (ou deux alliés potentiels) : le modèle culturel étranger dominant et ses propres gouvernants. Pour l’historien suisse, ce jeu complique l’analyse et requiert des connaissances et des compétences accrues. L’emboîtement des échelles politiques suisses, qui n’obéit pas à un rapport centre/périphérie, ajoute une difficulté supplémentaire, sans parler de la dispersion des archives. Précisons qu’il est question dans Théâtre et scènes politiques surtout de la Suisse romande bien que deux études de cas soient consacrées à la Suisse allemande (à la propagande allemande dans les cabarets alémaniques, par Alexandre Elsig) et à la Suisse italienne (à la situation Tessin au coeur d’un carrefour d’influences du théâtre du corps et du mouvement, par Demis Quadri), mais la comparaison est moins facile à établir in situ avec les historiographies allemandes ou italiennes.

La capacité de chaque région romande à accueillir ou à rejeter des modèles d’action politique et artistique étrangers n’unifie donc qu’en apparence la représentation du paysage culturel suisse; car à trop mettre en valeur les facteurs d’intelligibilité livrés «clé en main» par l’historiographie française, on manque à rendre compte de l’inventivité des acteurs locaux à s’approprier ces modèles, à les instrumentaliser, à les adapter et à les rendre parfois méconnaissables. C’est cet écueil que cherchent à éviter – sans toujours l’expliciter – les chercheurs qui reconstituent par le menu le parcours de certains individus, l’évolution de certaines structures (le TPR présenté par Séverine Marmy, le Théâtre Mobile par Tiphaine Robert et Chloé Traube, les Faux-Nez par Joël Aguet, le Théâtre Livio par Noémie Hayoz), l’action des municipalités (Lausanne à la Belle époque par Olivier Robert) ou des cantons (Neuchâtel par Yvonne Tissot et Marie-Jeanne Cernuschi). Tous ces chercheurs acceptent le caractère fragmentaire de leurs études, supportent les lacunes du contexte historiographique en attendant que l’addition de leurs travaux contribue à l’établissement d’une cartographie rhizomatique destinée à produire de plus en plus d’effets de sens.

Reste, pour reprendre un constat présenté par les trois préfaciers et organisateurs du colloque, qu’un tel état du paysage est peu rassurant pour de jeunes chercheurs suisses. Depuis le colloque de 2009, a été créé en Suisse romande, par les quatre Facultés des lettres des Universités de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel, un programme interdisciplinaire de niveau Master intitulé «Dramaturgie et histoire du théâtre». Ce programme, encore modeste, est destiné à combler une lacune en matière d’études théâtrales en Suisse romande (on rappellera que la seule chaire, née il y a plus de vingt ans, dévolue à cette discipline en Suisse se trouve à l’Université de Berne). Le manque de vocation pour l’histoire du théâtre en Suisse romande est peut-être dû à l’absence de cette inscription académique – chose étonnante quand on songe à la richesse du paysage romand en matière d’institutions théâtrales qui ont un long passé. Souhaitons que l’intérêt pour l’archéologie propre de ce paysage – dont bien peu d’étudiantes et d’étudiants mesurent qu’il résulte d’une histoire complexe – se développe dans les années à venir et que les jeunes historiens entendent l’appel lancé par Alain Clavien, Claude Hauser et François Vallotton.

Zitierweise:
Danielle Chaperon: Rezension zu: Alain Clavien, Claude Hauser et François Vallotton (dir.), Théâtre et scènes politiques: histoire du spectacle en Suisse et en France aux XIXe et XXe siècles, Lausanne: Antipodes, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 273-275.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 273-275.

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